RÉSUMÉ: Je
vous invite à explorer les grandes terreurs de l'an mille, supposées avoir eu lieu en 1000 ou 1033, ou encore
1260, 1300, à la fin du XVème siècle ou en 1534, sur la foi de
témoignages extrêmement rares et de l'Apocalypse de Saint Jean. Or,
cette théorie a largement été remise en question par les
historiens. En effet, la seule préoccupation réelle des médiévaux
était le Salut, post mortem, immédiat et non la fin du monde. Si on
les compare avec nos peurs modernes, on se rend compte que les nôtres
sont plus raisonnablement fondées. Pour autant, le sentiment
d'impuissance est plus paralysant que la peur. Ne désespérons pas,
il y a toujours des actions à mener. Et ces actions commencent par
résister dans la pensée, s'informer, penser par soi-même et
critiquer. Une fois notre esprit aiguisé par la critique et la
réflexion, nous pourrons trouver quels modes d'action comptent pour
nous.
Bonjour à
tous,
Je m’appelle
Sébastien, je suis historien en fin de formation. J’ai étudié
l’histoire médiévale principalement, je suis titulaire d’un
master d’histoire médiévale et de l’agrégation d’histoire
géographie. Je devais parler lors de la rencontre du 6 mai, annulée
en raison des circonstances. Je fais donc cette vidéo.
Je vais
parler d’un phénomène qui va nous aider à comprendre un élément
contemporain : les Grandes Terreurs de l’An 1000. Cette idée,
dans notre mémoire collective, s’attache à l’idée que les
médiévaux avaient peur de la fin du monde. Le lien avec l’actualité
est évident, dans la mesure où nous (jeunes générations), avons
peur pour notre avenir à court terme, en raison notamment des enjeux
climatiques.
D’abord,
étudions ce que sont ces grandes terreurs, puis observons-les sous
un angle historiographique, nous verrons qu’il faut relativiser
cette idée. Enfin, nous parlerons un peu de nos peurs
contemporaines.
Il faut
d’abord comprendre d’où viennent les peurs de l’an 1000. Dans
l’Apocalypse selon saint Jean, on trouve la mention que 1000 ans
après le Christ, Satan sera libéré et provoquera la fin du monde.
Pour les historiens, compte tenu de l’omniprésence de la religion
catholique dans les mentalités médiévales, cela provoque l’idée
qu’en l’an 1000 ou 1033 (selon la manière de dater, suivant la
naissance ou la mort du Christ) les gens ont paniqué. Quelques
sources isolées mentionnent moins des mouvements de panique que des
réactions ponctuelles, individuelles. On trouve dans une lettre
adressée en 998 par Abbon de Fleury, moine, à Hugues Capet, roi des
Francs, qu’il a entendu dire que des prêtres parisiens prêchent
la fin du monde, en raison de la proximité des mille ans après le
Christ. C’est ce qu’on appelle le millénarisme.
En 1033,
c’est le millénaire de la mort du Christ, on remarque quelques
éléments dans les sources qui témoignent d’une ambiance
spéciale. Raoul Glaber décrit en détails une éclipse de soleil
arrivée en juin 1033. Cela donne une ambiance un peu apocalyptique.
Avec les prophéties de Joachim de Flore et la vie de François
d’Assise, on croise de nouvelles « peurs de l’an 1000 »
en 1260, 1300. Durant le XVème siècle, des mouvements pénitentiels
se développent, avec par exemple les flagellants, qui se fouettent
pour expier les péchés. Cela est lié à la conjonction de la
Grande Peste (l’Europe perd un tiers de sa population) et de la
Guerre de Cent Ans, conjonction qui crée un climat d’insécurité
qui peut nourrir ces mouvements millénaristes. Enfin, en 1534, un
prédicateur protestant provoque la commune de Münster pour en faire
la nouvelle Jérusalem qui permettra d’échapper à la fin du
monde.
Sous un
angle plus historique, avec plus de recul, on remarque que la réalité
est plus complexe. La première mention des terreurs de l’an 1000
se trouve dans le manuscrit d’un cardinal, Baronius, en 1602, qui
affirme en substance que l’an 1000 provoque des mouvements de
panique.
Cette
information est ensuite reprise au XIXème siècle par Jules
Michelet, grand historien français, qui au livre IV de son Histoire
de France évoque ces terreurs de l’an mille. Cette vision est
immédiatement relativisée, dans la deuxième moitié du XIXème et
la première moitié du XXème par plusieurs historiens, dont
Ferdinand Lot. L’un des arguments majeurs est que l’immense
majorité des médiévaux ne maîtrisait pas le comput (le compte du
temps) et n’était donc pas capable de dire quelle était l’année.
En outre, le système de datation basé sur la naissance du Christ ne
s’impose qu’au XIème siècle, donc après l’an 1000. On voit
également chez Abbon une position partagée par les savants de
mépris envers ceux qui professent la fin du monde proche. Ces
savants s’appuient sur Saint Augustin, penseur du Vème siècle,
qui exprime dans la Cité de Dieu l’idée que ces « mille
ans » ne sont pas à interpréter littéralement, mais
signifient « longtemps ». Le concile d’Ephèse en 431
condamne le millénarisme.
Puis Georges
Duby se réapproprie ces questions et propose l’idée d’une
« inquiétude diffuse », repérable notamment autour de
l’An Mil. Celle-ci repose sur quelques sources, mentionnant des
prédicateurs millénaristes, la croissance du nombre d’églises et
de baptêmes, de confessions.
Dominique
Barthélémy ou Sylvain Gouguenheim ont reconsidéré et critiqué
cette opinion. Pour eux, il n’y a pas de panique, pas de terreur de
l’An Mil. Ni d’inquiétude diffuse. Cela est à rattacher
seulement au souci du salut, seul souci réel et permanent des
mentalités médiévales.
Au total,
cette idée apparaît comme une construction de la Renaissance,
méprisante envers un « Moyen Age obscurantiste ».
Enfin, si
l’on compare avec nos peurs, on peut remarquer que les nôtres sont
fondées sur la science et non la religion. La science est une
manière de voir le monde avant tout. Mais pour autant nos peurs sont
fondées.
En ce qui me
concerne, vous aussi peut-être, ce qui rend cette peur difficilement
supportable, c’est le sentiment d’impuissance. Or cette
impuissance est relative. Il y a toujours des choses à faire, une
résistance à mener, à diverses échelles, par divers moyens.
Le premier
moyen de résistance, le socle du reste, c’est l’esprit critique.
Il faut se renseigner, comprendre, réfléchir et critiquer pour ne
pas accepter les discours. Il est nécessaire de se poser des
questions pour penser.
Il faut se
méfier des discours, notamment de ceux qui voudraient donner à tous
les citoyens les responsabilités des puissants. Tâchons de ne pas
confondre les phénomènes structurels, de fond, et les phénomènes
conjoncturels, de surface. Le désastre écologique a des causes
profondes qui dépassent considérablement les individus et les
consommateurs, mais qui touche directement à notre rapport à
l’argent, au monde, au profit par exemple, notamment celui des plus
riches et des plus puissants.
Le point de
départ de l’action contre les désastres qui pèsent sur nous, ce
n’est pas le tri des déchets, c’est la réflexion individuelle
et l’esprit critique sur les discours divers, y compris ceux qui se
prétendent écoresponsables.
I disagree with you when you say the ecological disastre has "deep causes". The cause is simple: people are greedy, vain, selfish, insecure, conformist, envious, short-sighted, agressive, etc. Consumer society is the result of, thrives on, exacerbates these failings. The cost of consumer society (overconsumption) is the destruction of our environment. In Medieval times, people wanted salvation (an eternal life in Heaven, free from the hunger, suffering and the violence on Earth). Now, people in rich countries (who mostly do not believe in a better after-life) just want to satisfy their materialist cravings here and now, hoping it will alleviate their boredom and stress and frustration. People are terrified of losing out, not of the end of the world...
ReplyDeleteI think in this case one cannot say "people". we can't speak about governments, industrials, or Larry Fink and for example refugees, or even any low class worker, the same way. There are responsibilities, there are deep causes : an human being, when new-born, is nothing. education, society makes him become greedy, etc. Therefore, greed, vanity, etc. are not causes, they are symptoms and consequences, which entertain the situation. the main proof : there are people who are not this way. What we need is to change society and education. Dassault and John Smith are not the same and cannot bear the same responsibilities. Moreover, most of the sociological works, especially Bourdieu, say that we are determined : by education and society. Responsibility applies only to those who have power, and citizens don't have to ensure the law's role : Law is not a vain thing, unless we let people who have power use and make it against us.
DeleteI think :) And apologies for the english mistakes
Merci Sébastien! Un petit conseil pour les étudiants et futurs étudiants, afin de construire votre esprit critique: ne négligez pas les cours de méthodologie de la recherche. Même s'ils paraissent abrutissants, ils donnent les clefs pour chercher les informations disponibles sur n'importe quel thème et la rigueur de votre recherche vous permettra d'avoir en premier lieu, un avis neutre sur n'importe quelle question, et dans un second temps, votre propre avis.
ReplyDeleteThéo SABATIER writes: I agree with you, Sébastien, on the fact that we need to develop our critical mind and to learn in order to better face the challenges; I think that this allows us to better understand what is happening and therefore to have more interesting ideas to offer. Learning about a subject is sometimes quite long but it's useful and especially in politics, because you have to understand what the politicians say in order to make a serious decision when you vote for example.
ReplyDeleteBefore, people were hoping for an eternal and better life after death (because religion was omnipresent). Now, though, most people don't believe in religious dogma, they just want to live their lives, and don't think much about future generations... Nowadays, people are materialistic and selfish and want to satisfy their needs and wants even at the cost of destroying our environment and our planet...
As a historian, do you think that there will always be the same problems and same fears? Will we inevitably become like the adults?